Gabon : Non, il n’y a pas eu vol de 48 000 tonnes de manganèse

Ce qui a d’abord été présenté comme un spectaculaire vol de 48 000 tonnes de manganèse au port d’Owendo ressemble, à la lumière des faits, à une affaire bien plus complexe. Loin d’un braquage maritime, l’affaire du navire Jacob H met en évidence les dysfonctionnements du système portuaire gabonais, les zones d’ombre autour des pratiques d’assistance maritime, et surtout, la légèreté avec laquelle certaines informations non vérifiées ont été diffusées.
Le Jacob H, vraquier battant pavillon étranger, avait connu une panne technique mineure lors d’une manœuvre de positionnement dans la zone minéralier du port d’Owendo. L’incident, courant dans les opérations portuaires, n’avait provoqué ni dommage, ni risque majeur. Une intervention limitée des remorqueurs aurait normalement suffi.
Pourtant, la société SOTRASMAR, dirigée par Gabin Nicaise Yala, a présenté au capitaine une facture exorbitante de plus de 8 milliards de FCFA, au titre d’une prétendue opération de sauvetage. Problème : la valeur totale du navire et de sa cargaison ne dépassait pas 7 milliards. Face à cette exigence jugée arbitraire et à la crainte d’une rétention prolongée du navire, le commandant a choisi de quitter le port, muni, selon les documents consultés, d’un Port Clearance officiel délivré par la Douane gabonaise.
Autrement dit, le navire n’a pas disparu clandestinement : il est parti avec une autorisation légale.
SOTRASMAR et la dérive des pratiques portuaires
Au centre de cette affaire, le nom de Gabin Nicaise Yala revient avec insistance. Ancien pilote maritime, il est aujourd’hui à la tête de SOTRASMAR, société régulièrement citée pour des facturations contestées et des procédures opaques. Plusieurs armateurs étrangers auraient déjà dénoncé des montants jugés “disproportionnés” et des retards d’autorisation dans les ports gabonais.
Suspendue temporairement en 2025 pour manquements aux normes de formation, SOTRASMAR a néanmoins continué d’opérer, bénéficiant de tolérances administratives qui posent question. Le cas du Jacob H illustre une faille plus large : l’absence de barème clair des coûts d’assistance maritime au Gabon, et le flou réglementaire qui alimente les abus.
Résultat : la réputation du port d’Owendo s’en trouve écornée, les compagnies étrangères majorent désormais leurs tarifs ou évitent le Gabon, considérant le pays comme un point à risque.
Quand la rumeur prend le dessus sur les faits
L’un des aspects les plus inquiétants de cette affaire reste la diffusion précipitée d’informations non vérifiées. En quelques heures, le supposé “vol de manganèse” s’est propagé sur les réseaux sociaux et certains médias, sans confrontation avec les documents officiels.
Pourtant, aucune cargaison n’a disparu, aucun vol n’a été constaté, et le départ du navire était bel et bien validé par les autorités portuaires. Cette confusion illustre les dérives d’une communication non vérifiée, où la recherche du sensationnel prend parfois le pas sur la vérification journalistique. “Une rumeur publiée devient une vérité partagée, surtout lorsqu’elle touche à des symboles économiques comme le manganèse”, analyse un expert du secteur maritime.
Ce cas révèle à quel point la désinformation peut fragiliser l’économie d’un pays, nuire à sa crédibilité internationale et amplifier les tensions entre acteurs économiques.
Leçons d’un scandale mal compris
L’affaire Jacob H dépasse le simple cadre d’un différend commercial. Elle expose un système portuaire désorganisé, un manque de régulation claire, et une chaîne d’information vulnérable aux approximations.
Le Gabon, qui ambitionne de renforcer sa compétitivité maritime et minière, ne peut se permettre que ses ports deviennent les terrains d’abus, d’improvisation ou de désinformation.Avant de parler de “vol”, il faudrait peut-être commencer par rétablir les faits, encadrer les pratiques et exiger la transparence. In fine, ce n’est pas un vol de manganèse qui a eu lieu à Owendo, mais un naufrage de la rigueur, à la fois dans la gestion portuaire et dans la circulation de l’information.



